Une Adèle Blanc-Sec haute en couleur.
Et voilà, la version définitive de la planche que vous ne verrez jamais chez Jacques Tardi : Adèle envoie paître Screamy. Merci au pauvre Bernardo que j'ai rabroué alors qu'il m'expliquait l'ABC du parfait photoshoppeur, je crois que je me suis empressée d'oublier toutes ses instructions. Excusez ce petit strip en modeste hommage et ce petit trip égocentrique, mais je n'ai pas pu m'empêcher de faire une parallèle entre l'acariâtre Adèle et moi-même. Il faut dire que Tardi a créé la demoiselle aux taches de rousseur en 1976, année de ma naissance, et oui !
J'ai découvert mademoiselle Blanc-Sec, et le Paris Proustien d'avant la première guerre par la même occasion, toute gamine chez mon oncle, féru de BD. Le genre à lire Metal Hurlant. Tardi a d'ailleurs bossé pour cette publication. Son histoire assez controversée, Polonius y est apparu. Le seul album que mon père ne possède pas dans sa collec' d'oeuvres de Tardi. En parlant de mon père, tiens ! Il a eu la même enfance que Tardi. Nés tout deux d'un père militaire, ils ont passé leur enfance dans l'Allemagne d'après-guerre.
Le père de Tardi finit par démissioner de l'armé, refusant d'aller en Indochine. Peut-être a-t-il eu des ennuis à la suite de cette démission. De là il n'est pas trop difficile de deviner d'où viennent les saillies anti-militaristes de Tardi qui reste à mes yeux l'un des meilleurs illustrateurs de la boucherie des tranchées. Son coup de crayon est aussi parfaitement adapté à l'oeuvre de Céline dont il a illustré les couvertures des bouquins, quand il n'illustre pas ceux de Daniel Pennac.
Mais revenons à la pas très douce Adèle, née en pleine période de libération de la femme. Tardi voulait créer un personnage féminin pour une série d'aventure extraordinaires mais tout en cherchant à se démarquer des figures stupides à la Bécassine ou des splendides pin up de calendrier. Adèle est une femme au tempérament résolument moderne, un anachronisme vivant projeté dans le Paris de la Recherche du Temps Perdu. Sauf que Proust s'enhardirait à étudier les sociétés occultes et les bas-fonds de la vie parisienne.
Tardi, dans des entretiens, dit volontiers qu'Adèle est un peu une extension de lui-même. On pourrait même penser que c'est carrément sa fille de papier, digne héritière des idées anti-militariste de son papa... ou alors, la grand-mère que Tardi aurait voulu avoir...
Adèle se découvre une
petite soeur dans Le Mystère des Profondeurs. Tardi a
la riche idée d'en faire une jeune fille acariâtre et
possessive qui désapprouve les choix de vie de son aînée.
Adèle va même se retrouver future tatie dans le dernier
tome de ses aventures et voit en sa petite soeur le parfait
contre-exemple de ses propres codes moraux : “Travail...
Famille... Quelle gentille petite soeur ! Dans vingt ans, son foetus
sera fin prêt pour la prochaine boucherie. Et elle a l'air
d'être contente d'elle !” A
chaque famille sa brebis galeuse.
Si sa soeur Mireille rêve d'une
parfaite vie de couple avec son petit mari, Adèle n'est pas du
genre à verser dans la romance et à se laisser séduire.
Nombreux sont les hommes à se casser les dents sur son mauvais
caractère. Brindavoine, qui l'a pourtant libérée
de son hibernation, se fait qualifier de “Lourd” dans le Noyé
à deux têtes et
elle repousse bien durement les avances d'un pilier de comptoir en
lui faisant remonter le service trois pièces d'un coup de
genou dans le dernier album de ses aventures, le Labyrinthe
Infernal. Le seul homme auquel
elle semble avoir été attaché est Lucien, un
condamnée à mort innocent du crime dont on l'accuse
dans la première aventure de la demoiselle, Adèle
et la Bête.
Les hommes n'ont vraiment pas le beau rôle dans l'univers d'Adèle. Ce sont soit des pleutres suffisant comme le pauvre Flageolet qui passe peu à peu du dandy oisif proustien au lâche larvaire tout juste bon à se prendre des coups et à transpirer à grosses gouttes à la moindre approche du danger. Même Brindavoine, personnage aux piques typiquement Tardiennes et figure tragique de la Boucherie de 14/18 devient dans la série un alcoolique invétéré mentant sur les origines de l'amputation de son bras. Pourquoi vouloir passer pour un héros quand on a autant craché sur la guerre ?
Du coup, avec une telle galerie de personnages hauts en couleur et qui foisonnent avec une telle profusion qu'on finit par se paumer dans les deux derniers tomes un peu trop fouillis, on en oublie presque les intrigues dans lesquelles Adèle se jette tête baissée dans les premiers tomes avant de les subir avec un air blasé qui fait toute la saveur du personnage. On pense aux feuilletons qui firent les délices de la Belle Epoque, au Grand Guignol, à Conan Doyle et à Lovecraft. Sacré mélange ! Ca risque d'être trop complexe pour le roi du scénario bidon, Luc Besson qui songe sérieusement à nous foirer une adaptation. Croisons les doigts pour que ça ne se fasse jamais, le gros barbu ayant déjà beaucoup de projets sur le feu.
Un petit jeu amusant serait de faire un “circuit Adèle Blanc-Sec” dans lequel nous découvririons tous les endroits foulés par la bottine de la fameuse héroïne. Histoire de voir que notre capitale n'a pas trop changé, et peut-être avec le secret espoir de croiser un ptérodactyle dans le Jardin des Plantes ou le Démon Pazuzu en haut de la Tour Eiffel. Une idée à creuser très sérieusement. Si elle vous séduit, venez en parler sur ce blog.
Je laisse le mot de la fin à ma Blanc-Sec honteusement détournée par mes soins malpropres. J'aime bien imaginer ce qu'elle pourrait s'exclamer en découvrant notre beau siècle des lumières nucléaires.
XXIème siècle, hein ? pas arrondissement.